Apprendre une langue comme on apprend la musique
Si vous savez jouer de la musique, alors vous saurez apprendre une langue étrangère. Du moins, c’est le lien que je vous propose d’analyser ici, avant de passer aux conseils pratiques.
Et si vous ne savez pas, pas de panique, cet article vous aidera aussi avec des conseils pleins de sens.
Pourquoi mettre la musique et les langues côte à côte? Parce-qu’elles ont des tas de choses en commun, de leur structure à leurs méthodes d’apprentissage. Je vous propose ici de faire un petit exercice de comparaison pour comprendre comment apprendre.
Posons le décors
Commençons par la petite histoire du jour, parce-que rien ne vaut une petite histoire pour donner du sens à tout ça.
Jusqu’en 2017, je n’étais pas musicienne pour deux sous. Mais vraiment pas du tout!
Chanter à tue tête dans la voiture, sans problème, mais mes connaissances (compétences?) musicales s’arrêtaient là. Pourtant, depuis un certain nombre d’années, j’étais attirée par le violon. J’avais dans le coin de la tête cette envie latente d’apprendre à en jouer.
Problème: dans mes souvenirs, les copines d’école qui apprenaient à jouer d’un instrument de musique parlaient à tors et à travers du solfège comme un monstre redoutable qu’il faut terrasser pour atteindre le saint graal: l’instrument de musique! Inutile de préciser que l’idée de passer des heures à apprendre la théorie de la musique avant de commencer à jouer une musique n’était pas pour me motiver.
Et puis j’ai décidé de me lancer. Après tout qu’est-ce que ça coûte d’essayer?
Je suis allée dans une boutique de violons et j’ai expliqué mon cas, surtout mon ignorance totale de la musique (si ce n’est ce qu’est une portée, la liste des notes, et la clef de sol, souvenirs des cours de musique au collège). J’ai demandé franchement si je devais m’inscrire à des cours de solfège avant de considérer l’achat d’un violon. Ils m’ont regardé d’un air tout perplexe. Des cours de solfège? Mais pour quoi faire?
Je vous arrête tout de suite, ils n’ont pas dit ça juste pour me vendre un violon. Au contraire, ils m’ont même conseillé de ne pas en acheter un, mais d’en louer un pendant les premiers mois, et de n’acheter que si je persiste.
Les similarités
Avançons l’histoire un petit peu. Me voilà à apprendre le violon. Finalement en quoi ça consiste?
Apprendre à lire la musique (tout en la jouant, on ajoute un peu de difficulté au fur et à mesure). Apprendre à la jouer. Et savoir écouter, reconnaître les notes, savoir lorsque ça ne sonne pas juste. Bref, si on y ajoute l’écriture – ou ici la composition – c’est exactement pareil qu’apprendre une langue.
Réception/production, écrit/oral. Un nouveau système d’écriture, éduquer nos muscles à faire de nouveaux mouvements, habituer notre oreille à reconnaitre de nouveaux sons.
Est-ce que ce n’est pas aussi ce qu’on fait quand on apprend une langue étrangère?
Tadaaaam!! Voilà donc le lien, ou plutôt les liens.
Est-ce que pour autant c’est plus facile d’apprendre une langue étrangère quand on est musicien? Peut-être mais il faut quand-même de la discipline et de la persévérance. Il n’y a pas de magie.
Et qu’en est-il des méthodes d’apprentissage?
La musique et la méthode Suzuki
S’il y a des musiciens parmi vous, alors il est fort probable que vous ayez déjà entendu parler de la méthode Suzuki. Sinon, voici en gros de quoi il s’agit.
Ce cher Mr Shinichi Suzuki, qui certes vient du Japon mais n’a rien à voir avec les voitures, était un violoniste du siècle dernier, décédé il y a à peine 20 ans, presque centenaire.
Il a apporté une petite révolution dans l’apprentissage de la musique aux enfants. En effet, son approche était de dire que tout comme un enfant apprend à parler et bouger grâce à la stimulation de son environnement (généralement ses parents), il était tout à fait possible de lui apprendre la musique avec la même approche.
Dans sa méthode, soit les parents savent déjà jouer et jouent avec leurs enfants durant leurs exercices à la maison, soit ils apprennent en même temps. Dans tous les cas, les parents sont très impliqués dans l’apprentissage. On recommande aussi d’exposer les enfants à la musique dès leur plus jeune âge, les aidant ainsi à développer leur écoute et leur sens du rythme. Plus ça fait partie du quotidien mieux c’est.
Bien que Mr Suzuki ait développé cette méthode pour les enfants, on y retrouve des similarités avec une méthode d’apprentissage des langues appelée CLT (pour Communicative Language Teaching – ou enseignement d’une langue pour la communication).
Le CLT, qu’est-ce que c’est?
Quelque chose que j’ai découvert lors de ma formation de prof d’anglais langue étrangère. C’est plein de sens et c’est tellement évident qu’on se demande pourquoi on n’y a pas pensé avant. Ceci dit ça existe depuis les années 1960/1970.
Le CLT est un retour aux bases. Loin dans le temps, lorsque les langues étaient avant tout un moyen de communiquer. La grammaire c’est bien, la littérature c’est beau, mais la base de la base, c’est savoir s’exprimer. Se faire comprendre et comprendre ceux qui nous entourent.
Enseigner une langue étrangère avec le CLT en tête c’est donner la priorité à tout ça. La grammaire et la variété lexicales sont juste des outils supplémentaires pour affiner le discours.
Ainsi au lieu de répéter des phrases par coeur et apprendre des listes de mots à n’en plus finir, tout se construit autour de l’usage. Raconter ses vacances ou son weekend, parler d’un sujet qui nous intéresse, utiliser des supports et sources du quotidien, proposer des jeux, des jeux de rôle, autant d’outils d’apprentissage qui permettent de se plonger dans un langue étrangère le plus naturellement possible.
Cette méthode s’applique aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Il suffit simplement d’adapter les outils, les supports et les activités pour coller avec le centre d’intérêts du groupe.
Bien sûr l’enseignant doit garder une structure en tête, être capable d’inclure de la grammaire et du vocabulaire dans ses leçons, et avoir la flexibilité nécessaire pour s’adapter à sa classe, mais c’est sans aucun doute une méthode qui gagne en popularité au fil du temps.
Le concret avant tout!
Ainsi les méthode Suzuki et CLT ont toutes les deux cet énorme bénéfice que dès la première leçon, on peut apprécier et utiliser ce qu’on a appris. C’est énorme car on sent qu’on a plus le contrôle de notre apprentissage et on en mesure les résultats. Qui plus est, lors de l’apprentissage en groupe, une dynamique s’installe. Elle permet plus d’interaction entre les élèves, et évite de laisser ceux qui ont plus de difficultés dans leur coin.
Comment tirer bénéfice de cette méthode quand on apprend seul?
Si ça vous semble génial et que vous aussi vous avez envie d’apprendre sans subir, voici quelques suggestions pour apporter de la variété à votre apprentissage. Mais souvenez vous, le but du CLT c’est de communiquer. Donc vous n’y couperez pas, pour vraiment en profiter, il va falloir trouver des personnes avec qui échanger, pour un usage ‘réel’. Mr Suzuki encourageait un environnement propice à un apprentissage presque naturel. À vous donc de plonger dans cette nouvelle langue, de faire en sorte qu’elle fasse partie de votre quotidien autant que possible.
- Trouvez des chaines Youtube sur des sujets qui vous intéressent, mais dans la langue cible. Youtube propose des sous-titres ce qui va vous permettre de suivre ce qui se dit, arrêter la vidéo, revenir en arrière, chercher le vocabulaire qui revient souvent. Ne cherchez pas à comprendre chaque mot, mais plutôt le sens des phrases pour suivre ce qui se dit.
- Lisez les sites d’informations ou sites touristiques dans la langue cible. Vous y trouverez du vocabulaire classique et très souvent les informations vont traiter des sujets que l’on retrouve sur les sites d’infos en français, ce qui facilite la compréhension générale. A vous de voir ce qui vous intéresse.
- Ecoutez des chansons, cherchez sur Youtube si elles ne sont pas disponibles avec les paroles, genre karaoké. Rien de tel qu’un chanson pour pratiquer la prononciation, l’enchainement rapide des mots, et retenir des tournures de phrases.
- Trouvez un groupe d’apprentissage sur Facebook et écrivez vos posts dans la langue cible autant que possible. Bien mieux que tenir un journal, participer à un groupe permet non seulement d’écrire pour quelqu’un, mais aussi de se faire corriger, car dans le groupe tout le monde a un niveau de maitrise de la langue différent. Et surtout, vous sentirez une énorme satisfaction personnelle lorsque votre niveau vous permettra de corriger d’autres membres du groupe. Vous verrez alors les progrès que vous avez fait dans votre apprentissage.
Ces quelques suggestions sont un point de départ. A vous maintenant de les adapter et les diversifier selon la langue que vous apprenez, vos centres d’interêt et les ressources disponibles en ligne ou autour de vous.
Des suggestions? Des idées? Faites-en profiter les autres apprenants dans les commentaires!
10 Comments
Emmanuel
C’est tellement juste !
En tant qu’enseignant de langues et de musique je te rejoins à 100 %!
À bientôt
Severine
Merci! Ça me fais plaisir de savoir qu’un expert le perçoit comme moi 🙂
Valentine - Parents en Equilibre
« La grammaire c’est bien, la littérature c’est beau, mais la base de la base, c’est savoir s’exprimer. » Exactement ce que je répétais sans cesse à mes anciens élèves !
Je ne connaissais Suzuki que pour les motos ; contente d’avoir découvert cette histoire. Merci
Severine
🙂 Merci Valentine. Et je suis sûre que tes élèves appréciaient que tu leur montres la vraie valeur d’une langue.
Jung
Superbe article !
Et l’idée d’apprendre une nouvelle langue comme on apprend la musique est juste géniale ! Pédagogique, ludique, motivante, cette méthode me semble excellente !
Anne-Lise - Grandir en langues
C’est génial ! Je ne suis pas très musicienne mais je reconnais que les personnes qui le sont ont un avantage pour les langues 🙂 En plus c’est clair qu’apprendre dans le concret, en appliquant tout de suite plutôt qu’en apprenant par coeur, ca change tout ! 🙂 C’est dommage que trop peu de personnes encore en parlent et défendent cela dans notre système actuel…
Anne-Gaëlle
…et Wikipedia propose des langues alternatives (pas toutes mais beaucoup quand même 😊 ) avec -et c’est là que c’est intéressant -du contenu parfois plus fourni, selon le sujet traité…
Severine
Des langues alternatives ? Tu as un exemple ? Tu peux partager un lien ?
Anne-Gaëlle
J’entends par là que si tu cherches (par exemple) qqch en français sur un auteur britannique que tu aimes particulièrement sur Wikipédia, et que tu changes la langue de lecture pour l’anglais, et bien ✨ magie✨ l’article en anglais est plus fourni (normal…vu que tout dépend du nombre de contributeurs, qui sur ce sujet seront plus nombreux dans les rangs anglophones) et ✨ magie.bis ✨ te voilà à lire un article dans une langue qui t’intéresse sur un sujet qui t’intéresse aussi 😊
…mais on s’éloigne du parallèle avec l’apprentissage de la musique 😉
Severine
Ah oui c’est une excellente suggestion. C’est vrai qu’on a souvent plus dans la langue d’origine du sujet qui nous intéresse. Et ça ne doit pas être en lien avec la musique, l’important c’est de trouver des idées ‘utiliser’ la langue que l’on souhaite apprendre dans un contexte hors études 🙂